Marie Chantal Kaninda :
Vivre au Congo sans corrompre
Vivre au Congo sans corrompre
Marie Chantal Kaninda fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Représentante de la multinationale De Beers en République démocratique du Congo, elle dirige un groupe de travail restreint qui s’attèle à mobiliser les entreprises tant publiques que privées dans la lutte contre la corruption. Au magazine Optimum, elle explique le bien-fondé de cette initiative.
Je tiens d’abord à signaler que notre structure existe depuis juillet 2010. Elle est composée de cinq personnes dont je suis la représentante. On y retrouve trois hommes et deux femmes : moi et ma collègue Bethy Atundu, une femme entrepreneur indépendante. Notre particularité réside au fait que notre groupe de travail est constitué de responsables et de représentants des entreprises privées qui se sont mis ensemble pour participer à la lutte contre la corruption. Bien souvent, la plupart de groupes qui mènent cette lutte sont de caractère étatique.
Quelles sont, selon vous, les secteurs les plus touchés par la corruption dans notre pays ?
Je pense que tous les secteurs sont touchés. Quand vous regardez la maman qui vend au marché… Rien que pour avoir un espace, elle est parfois obligée de payer des pourboires à certains agents de l’Etat, au delà des taxes habituelles, pour ne pas se voir demain remplacée par un autre demandeur. La corruption se retrouve donc à tous les niveaux. Et bien entendu, le montant varie.
Pouvez-vous nous éclairer sur les mécanismes de corruption ?
Ici en République démocratique du Congo, on n’a pas besoin d’être dans une entreprise pour être en phase de corruption ! Quand déjà on sort avec sa voiture dans la rue, on est confronté à bien d’actes de corruption, volontaires ou non. La corruption est là, mais je vous étonnerai en vous disant que, dans une société comme la nôtre, nous ne corrompons pas. Ce qui se passe, c’est que pour obtenir un dossier auprès de certains services, ça prend beaucoup plus de temps. C’est dans ce contexte que j’estime qu’une bonne organisation, associée à la prévoyance et à la gestion du temps constituent le premier mécanisme de frein à la corruption. Souvent, la plupart d’individus et d’entreprises qui sont en phase de corruption le sont, parce qu’ils se sont peut-être mal préparés. Le facteur temps est tellement important que l’on se dit que, pour vite arriver au but, il faut recourir aux moyens les plus courts. Mais je pense qu’en étant préparé, organisé, et en prenant le temps qu’il faut, on peut en général éviter la corruption. Notre approche est de nous dire qu’au lieu d’être une entreprise qui résiste à la corruption, si nous sommes 100, 200 ou 300 à nous serrer les coudes, nous ne sommes plus les seules à devoir lutter, mais plusieurs. Et finalement, ça permet de faciliter les relations avec différentes institutions. On dit souvent que les institutions publiques sont corrompues. Mais pour être corrompu, il faut un corrupteur. C’est donc aussi au corrupteur de faire ce qu’il peut pour ne pas subir la corruption. Il est, par exemple, important que nous, entreprises, puissions déclarer nos recettes. Mais l’Etat doit aussi fournir un effort pour publier ce qu’il a perçu. C’est un effort qui doit être fourni de part et d’autre. Pour le moment, nous tâchons déjà de faire à notre niveau le nécessaire pour éradiquer la corruption.
Pensez-vous vraiment être éthique dans un environnement malsain ?
Moi, je suis congolaise ! Je ne suis pas étrangère, bien que je travaille pour une société internationale ici au Congo ! Je suis à l’aise de me mettre ici et de parler de la corruption, parce que je ne corromps pas. Et je me dis que c’est possible de vivre au Congo sans corrompre.
Tenez-vous compte de l’aspect culturel pour qu’un cadeau ne soit pas assimilé à une corruption ?
Je pense qu’il y a une différence entre apporter un cadeau à quelqu’un et lui donner un présent pour influencer sa décision. Lorsque je paie un policier parce que mes papiers ne sont pas en ordre, on se rendra vite compte, ici chez nous ou ailleurs, qu’il ne s’agit pas d’un cadeau !
Depuis juillet 2010, quelles sont les actions concrètes qu’on peut mettre à l’actif de votre groupe de travail ?
Je ne sais pas si la population peut déjà voir ce que nous avons déjà réalisé ! Nous pouvons toutefois signaler que nous avons réussi à élaborer un Code éthique. Nous l’avons même soumis aux entreprises de la place. Généralement, les institutions publiques sont réputées corrompues. Pour qu’elles ne le soient pas, nous avons estimé nécessaire de faire que ces entreprises aient un caractère éthique en se dotant d’un code de bonne conduite. Tout le monde en a oui, mais le nôtre est beaucoup plus simple. C’est un code rédigé sur une page et qui comporte quatre valeurs importantes.
Quelles sont donc ces valeurs ?
Il s’agit de l’intégrité, de la transparence, de la bonne gouvernance et du respect sous toutes ses formes (dans les affaires, dans la manière de traiter avec le personnel…).
Prévoyez-vous des sanctions contre ceux qui ne respectent pas ces valeurs ?
Nous ne sommes pas l’Etat. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de sanctionner. Notre approche est la suivante : commencer d’abord par élaborer un code de bonne conduite pour les entreprises publiques. La deuxième étape serait donc de faire adhérer le plus d’entreprises à ce code éthique. Faire une sensibilisation auprès des entreprises privées et vraiment toucher le plus grand nombre. Qu’il s’agisse de celles qui sont membres de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), ou celles qui font partie d’autres fédérations, y compris les petites et moyennes entreprises. Nous avons déjà communiqué ce code de bonne conduite au ministre de la Justice et même à certains responsables des institutions publiques (DGI, DGRAD, OGDA –ex OFIDA- etc.). Toutes ces institutions ont certes des codes de bonne conduite, mais ils sont volumineux, comprenant 30 à 40 pages. Chez nous cependant, nous disposons d’un code éthique sur une page, avec juste quatre valeurs qui touchent non seulement les directeurs, mais aussi les nettoyeurs d’une entreprise. Parce qu’il est élaboré justement pour le contexte purement congolais.
Comment espérez-vous alors vous faire respecter si vous n’infligez pas des sanctions ?
Pour nous, la sanction vient après. Notre approche est que nous voulons tout d’abord une adhésion volontaire. Si l’adhésion est volontaire et si nous arrivons à enregistrer le plus grand nombre d’entreprises, nous aurons déjà franchi la première étape. La deuxième phase sera de faire adhérer l’Etat, et notamment ses entreprises publiques, à notre code de bonne conduite. Une fois qu’on aura tous adhérer, nous pourrions alors faire un projet de loi et le soumettre pour adoption au Parlement afin qu’il en fasse un acte sanctionnable.
Croyez-vous possible de freiner la corruption exclusivement par la sanction, sans améliorer le traitement des travailleurs ?
Je suis de ceux qui pensent que la sanction ne résout pas tout. J’estime aussi nécessaire d’améliorer les conditions de vie des personnes. Dans notre code d’éthique, si nous parlons d’intégrité et de respect, nous voulons surtout faire allusion à un traitement convenable des employés. Cela implique non seulement qu’ils soient bien payés, mais surtout qu’ils gagnent suffisamment pour pouvoir mener une vie décente. Mais, c’est vrai que, dans les institutions publiques, certains agents ont des salaires si bas qu’ils ne savent pas nouer les bouts du mois. Quand donc on octroie de meilleurs salaires, la sanction est plus aisée à faire respecter.
S’il vous était demandé de donner la recette la plus simple pour mettre un terme à la corruption. Que diriez-vous ?
S’il existait une solution simple, je crois qu’on aurait déjà mis un terme à la corruption depuis longtemps ! De toutes les façons, la corruption n’est pas qu’une affaire congolaise. On la retrouve dans beaucoup de pays, de manière peut-être moins forte. Ce qui freine l’avancée de la corruption dans d’autres pays, c’est probablement la sanction. Il faudra peut-être que la sanction soit beaucoup plus présente et forte dans notre pays pour pouvoir lutter contre la corruption.
Avez-vous jusque-là connu des entraves dans l’exercice de votre métier ?
Jusque-là, nous n’avons connu aucune entrave puisque notre approche a été essentiellement communicationnelle. Lors du lancement du Code de conduite, nous avons invité la Primature ainsi que les responsables du Sénat, de l’Assemblée nationale, des institutions publiques, en plus de certaines entreprises privées. On a donc voulu avoir tout le monde autour d’une table. Initialement, tous ces officiels ne devraient se limiter qu’à l’ouverture solennelle du forum. Mais, vu le contenu du programme qu’ils ont trouvé intéressant, ils sont restés avec nous lors de l’élaboration du code éthique. Ils ont participé avec nous aux travaux en atelier. Il n’y a donc pas eu d’entraves, puisque tout a été fait dans la transparence.
Quelles sont les actions que vous projetez dans le futur ?
Dans les prochains mois, nous preparons un forum au cours duquel nous distribuerons notre code de conduite. Nous y inviterons non seulement les entreprises privees, mais aussi les institutions publiques. On ne peut pas le faire seul, mais de commun accord avec les institutions publiques. Et on veut déjà, des le depart, les mettre dans le bain. Ce sera une etape importante de sensibilisation sans laquelle personne ne saura ce que nous faisons et ne pourra donc adherer ak notre initiative. Et ensuitem, on aura des programme s de formation d’experts en bonne gouyverrnance qui seront animees par certians de nos partenaires aux differentes entreprises
Yves KALIKAT
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