dimanche 12 juin 2011

Jean Goubald : «Il faut une famille et une éducation solides pour avoir des artistes de haut niveau»

           Le public l’appelle affectueusement «Jean Goubald». Né Jean-Marie Kalala Mudibu, ce chanteur de renom est sorti des sillons ordinaires des musiciens congolais pour exploiter une musique originale, recherchée. Dépité d’assister au déclin de sa société, il est convaincu que le redressement du pays passe par la réhabilitation de la famille et de l’école.
Passionné pour la musique, Jean Goubald se promène rarement sans sa guitare. Autodidacte, il a fait un long itinéraire avant de se lancer dans la carrière solo en 1988. «J’ai fait mes études tout en tâchant d’approfondir la guitare, relate-t-il. J’ai presté dans les orchestres de l’école, de l’université de Kinshasa, de la paroisse Saint Augustin de Lemba et dans certains groupes de la place : Zaïko Nkolo Mboka, Minzoto Wela-Wela, Bongo folk, Okwess… J’ai fait aussi la musique folklorique avec les Basengele (Bandundu), les Babunda (Bandundu), les Bashi (Sud-Kivu), après avoir presté aux cotés de Gérard Madiata et du reggaeman Okoum One One».
Une année après la célèbration du cinquantenaire de l'indépendance de la RDC, l’auteur de «Bombe anatomique» se dit fier du travail abattu par ses ainés dans l’art d’Orphée. «On a eu, dans le temps, des musiques recherchées, travaillées, reconnaît-il. Les artistes qui nous ont précédés, ont réussi à faire parler de notre musique partout dans le monde. Aujourd’hui, nous jouissons de cet héritage».
Subjugué par le riche contenu des chansons congolaises d’antan, Jean Goubald a pris goût aux jeux des mots qui donnent aujourd’hui de l’aura à sa musique. «Bien que j’aie fait la section math-physique, j’ai été alléché par la lecture au collège Boboto, confie au magazine ‘‘Optimum’’ cet ancien élève des Pères jésuites. Mon talent s’est développé aussi en famille où ma mère et mon père, un ancien séminariste, aimaient jouer avec les mots. Je me plaisais, dès lors, à côtoyer leurs proches qui manipulaient à loisir la langue de Voltaire».
«Aujourd’hui, on fait de la musique juste pour gagner de l’argent. Ce n’est plus tellement l’art qui compte !»
Le dérapage intervenu ces dernières années dans le monde musical congolais ne laisse indifférent Jean Goubald. «Aujourd’hui, regrette-t-il, on fait de la musique juste pour gagner de l’argent. Ce n’est plus tellement l’art qui compte ! Raison pour laquelle il y a plus de «mabanga» (cris en l’honneur d’une personne, NDLR) que des mots qui composent la chanson elle-même. Le travail d’un artiste doit être plutôt raffiné. Ce n’est plus le cas de nos jours. C’est ce qui me pousse à travailler ma musique : mes textes, mes accords, mes harmonies…».
«C’est qu’on appelle la musique congolaise aujourd’hui, c’est une chanson, une seule chanson, déplore l’auteur de «Bombe anatomique». Si on a une autre de trop, c’est deux schémas d’harmonie, et puis c’est fini ! On ne cherche pas à innover ! Je me demande si les gens comprennent qu’ils sont en train de reprendre la même chose ! Si on n’a même pas le niveau de le comprendre, ce qu’on se plait à la routine !»
«Tout est dû au déclin de l’enseignement et de la famille»
L’ancien élève des Pères jésuites déplore, en outre, la frivolité qui caractérise bon nombre de musiciens congolais et qui se répercute sur la jeunesse en crise de modèle. «Aujourd’hui, révèle Jean Goubald, la réussite est brandie en termes de matériels. Les gens se ruent sur les jeeps, les maisons, les habits de haute couture… pour montrer qu’ils ont réussi. Pour eux, la réussite, ce n’est pas un cheminement, un travail, un effort. Non ! Rien n’est ancré, rien n’est intérieur, tout est apparent !»
«Ceux qui veulent entendre leurs noms dans les chansons, bénéficier des «mabanga», note Jean Goubald, déboursent facilement des milliers de dollars. Mais, pour quel but ? Juste le m’as-tu vu ! C’est ce qui emmène de l’argent dans les poches des musiciens, en plus de fonds des brasseurs en quête des consommateurs désireux de boire et de s’enivrer. Mais est-ce qu’alors les œuvres sont bien valables pour être achetées dans le monde ? Je sais qu’au Congo, la fortune, c’est l’apparence. Ca me désole».
Jean Goubald dresse aussi un bilan négatif du travail des producteurs. «La production se planifie, mais ici chez nous, rien n’est planifié, déplore le chanteur kinois. Aujourd’hui, le Congolais veut juste un peu d’argent dans ses poches et puis point final. Il n’y a pas de producteurs sérieux dans ce pays ! Des gens qui commencent par découvrir, aimer ce que fait l’artiste et l’accompagner dans sa carrière, on les retrouve à peine».
Ces notes noires ne sont pas des faits isolés, constate Jean Goubald. «Tout est dû au déclin de l’enseignement et de la famille, commente-t-il. Tous les domaines de la vie nationale sont touchés, et la musique un peu plus parce que, parait-il, c’est un domaine qui est réservé aux ratés de la société. Ce retard, je crois, est dû aux politiciens qui, pour des intérêts égoïstes, s’engouffrent dans des guerres de clans, de tribus… Car, depuis qu’on est indépendant, il n’y a pas un seul moment où on a eu des politiciens qui avaient une vision de progrès du pays. On se fout de l’éducation, de l’instruction, de la scolarité. Comment voulez-vous alors que le travail de l’homme ne dégringole avec lui ? Or, la musique fait partie du travail de l’homme. Pas étonnant qu’on ne puisse plus retrouver ce goût de la musique raffinée qu’on faisait avant !»
«On ne peut pas chercher des textes savants auprès de musiciens qui n’ont pas été instruits».
Face à ce constat amer, Jean-Marie Kalala propose un remède simple. «Il faut, dit-il, commencer par revenir à la source : réhabiliter la famille, l’école… Pour réhabiliter la famille, il est nécessaire d’améliorer la vie du fonctionnaire, car c’est par son niveau de vie qu’on sait jauger l’image de la société. Quand le fonctionnaire est impayé ou très mal payé, on voit ce que ça donne ! Ici en RDC, le salaire du fonctionnaire est si bas qu’il a des répercussions sur son niveau de vie. Comment voulez-vous que sa famille tienne le coût ? On ne peut pas commencer par faire l’effort en musique, alors que les musiciens sont tous issus de familles ! Moi, je n’aime pas soigner les ganglions, j’aime plutôt soigner les plaies».
«Pour avoir des acteurs de haut niveau dans la société, artistes inclus, il faut disposer d’une famille et d’une éducation solides, estime Jean Goubald. On ne peut pas chercher des textes savants auprès de musiciens qui n’ont pas été instruits. On ne peut pas demander à quelqu’un qui n’a pas été bien éduqué, de faire sortir quelque chose de bon de sa bouche. On ne peut donc donner que ce que l’on a. C’est l’instruction, l’éducation reçue qu’on transmet. Ce n’est pas parce qu’on commence à faire de la musique aujourd’hui que, d’emblée, on va se transformer, qu’on va subitement composer de belles paroles !»
«Si, sincèrement, on va commencer par soigner la plaie, il est fort possible que, dans dix ans, le pays aille loin, souligne Jean Goubald. Sinon, on va continuer à se tromper, à brandir le superficiel pour que l’on ne puisse pas voir le travail de fond, le travail sérieux qui doit se faire avec beaucoup d’amour».                               
Propos recueillis par Yves KALIKAT

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