Fils d’enseignant, le professeur Isidore Ndaywel E-Nziem enseigne dans plusieurs universités à travers le monde. Historien de renom, il a publié plusieurs ouvrages, en l’occurrence «Nouvelle histoire du Congo». Coordonnateur du Comité scientifique du Commissariat général du Cinquantenaire, structure chargée d’organiser le jubilé de l’indépendance de la RDC, il exhorte les Congolais à espérer en un avenir meilleur, tout en les conviant à se former davantage et à bien travailler.
En cette année où les Congolais célèbrent le jubilé de leur indépendance, le professeur Isidore Ndaywel estime le moment propice pour s’arrêter et se demander d’où l’on vient, où l’on est et où l’on va. Ces questions s’avèrent, selon lui, fondamentales pour tous ceux qui veulent ménager leurs montures en vue de mieux baliser les voies de l’avenir.
«On ne peut pas, affirme-t-il, parler du cinquantenaire sans parler de l’histoire. Et on ne peut pas non plus prétendre aimer le Congo si on ne le connaît pas. Voilà pourquoi dans la formation, il est important d’insister sur des données de connaissance de son propre pays. Le Congo dans l’espace et dans le temps est un élément qui devrait faire l’objet des préoccupations de tout système. Le Congo dans l’espace, c’est-à-dire sa géographie, doit avant tout être fort maîtrisé. Mais, ce n’est pas mon propos. Mon propos concerne le Congo dans le temps».
«Les millénaires qui nous ont précédés, c’est la partie de notre histoire où s’est forgé notre patrimoine, immatériel certes, mais important».
Pour Isidore Ndaywel, l’histoire de la RDC peut être repartie en plusieurs séquences. «La plus récente, explique-t-il, c’est le cinquantenaire qui concerne les 50 dernières années, de 1960 à nos jours. Cette séquence est la suite de celle du Congo belge, de 1908 à 1960. 52 ans de statut d’un pays colonisé ayant pour métropole la Belgique. Spécifiquement coloniale, cette séquence est aussi la continuité d’une autre, le premier ordre colonial. Nous sommes entrés en colonisation par une proclamation d’indépendance. Nous avons été Etat indépendant du Congo pendant 23 ans, de 1885 à 1908, avec pour souverain le roi Léopold II. Installé dans la lointaine Belgique, il était à la fois roi des Belges et roi souverain du Congo. Et avant cela, il y a eu des millénaires d’histoire de nos populations sur cet espace qu’est le Congo».
Faisant le bilan du passé, Isidore Ndaywel reconnaît que chacune des séquences de l’histoire du Congo a des acquis. «La toute première séquence que nous maîtrisons insuffisamment, c’est l’âge précolonial, affirme-t-il. Les millénaires qui nous ont précédés, c’est la partie de notre histoire où s’est forgé notre patrimoine, immatériel certes, mais important. C’est ce qui fait que nous soyons ce que nous sommes, que nous puissions avoir des institutions sociales aussi solides qui font que, chez nous, il y ait cette convivialité, cette importance accordée à notre ami, cette joie de vivre malgré notre misère, alors que la situation est beaucoup plus dure. C’est un patrimoine dont il faut être fier, tellement d’autres peuples n’en bénéficient pas. Je n’en veux pour preuve que les statistiques de crises cardiaques qu’il y a dans le monde ! ».
«L’Etat congolais est vieille de 125 ans. Nous sommes donc un Etat qui totalise cinq quarts de siècles… Et c’est la deuxième fois que nous célébrons le cinquantenaire.»
Isidore Ndaywel est beaucoup plus optimiste lorsqu’il aborde les deux autres séquences : «La constitution de l’Etat congolais, qui date de 1885 à nos jours, est vieille de 125 ans. Nous sommes donc un Etat qui totalise cinq quarts de siècles ! Une trajectoire absolument confortable dans l’histoire globalement, a fortiori dans l’histoire africaine, où il y a tellement de choses récentes. Et l’acte fondateur de cet Etat, c’est la proclamation, le 1er juillet 1885 à Vivi (Bas-Congo), de l’existence de l’Etat indépendant du Congo».
«Et, je tiens d’ailleurs à vous le rappeler, c’est la deuxième fois que nous célébrons le cinquantenaire, assure l’historien congolais. Nous avions déjà célébré, en 1935, le premier cinquantenaire de l’existence de notre Etat. Si vous allez dans certaines villes comme Lubumbashi, le Parlement actuel s’appelait naguère «Le Cinquantenaire». Il y avait même le parc du cinquantenaire».
«Nous avions acquis, en 1935, nos 50 ans d’existence comme Etat. Et le 1er juillet constituait notre fête nationale jusqu’au 30 juin 1960».
De quel cinquantenaire s’agit-il ? «Eh bien, répond Isidore Ndaywel, nous avions acquis, en 1935, nos 50 ans d’existence comme Etat. Et le 1er juillet constituait notre fête nationale jusqu’au 30 juin 1960. C’était le jour où nous célébrions notre fête nationale et où nous présentions notre drapeau bleu à l’étoile d’or, très vieux drapeau qui date de 1877, au moment où la commission d’histoire de l’Association internationale africaine a adopté son emblème. C’est cet emblème qui continue jusqu’à ce jour, certes avec des réaménagements et modifications jusqu’à la présentation actuelle».
Comme bon nombre de Congolais, le professeur Ndaywel décrie les méfaits du système colonial, mail il ne voit pas tout en rouge. «Nous avons, dit-il, raison de dénoncer les maux de la colonisation belge, mais elle nous a apporté aussi des acquis importants. Elle a notamment été caractérisée par ce qu’on appelle «l’administration indirecte», héritée des colonisations britanniques suivant lesquelles il ne faut pas mélanger les indigènes avec les Blancs».
Selon l’historien congolais, «l’administration indirecte» reposait sur la ségrégation. «Il fallait, explique-t-il, laisser les indigènes dans leurs villages, les enfermer dans leurs cités, pour qu’ils soient gérés par leur droit coutumier, par leurs chefs traditionnels. Il ne fallait pas qu’ils aient trop d’accès à des langues importées, en l’occurrence la langue française. Il fallait s’adresser à eux, les évangéliser dans leurs langues indigènes».
Pour le professeur Ndaywel, «c’était de la discrimination, certes, mais, c’est par cette discrimination qu’il y a maintenant un coté positif. Ce que nous avons eu la chance d’avoir été toujours proches de nos cultures traditionnelles, d’avoir conservé nos langues, nos usages par rapport aux autres régions d’Afrique où l’écart est très important par rapport à ce passé».
«Aucun pays colonisateur n’a, à un moment donné, décidé que la colonisation était assez suffisante pour que le pays colonisé devienne indépendant».
Lorsqu’il évoque la vague des indépendances en Afrique, l’historien congolais assure que c’est une phase incontournable qui s’accompagne bien souvent de scènes de violence. «Dans l’histoire du monde, commente-t-il, on accède à cette étape presque toujours de la même manière. Nous ne connaissons nulle part l’expérience de colonisation où le pays colonisateur a, à un moment donné, décidé que la colonisation était assez suffisante pour que le pays colonisé devienne indépendant».
«Il était donc important que nous accédions à l’indépendance, à la prise en charge, par des autochtones, de cette nouvelle forme de modernité d’origine extérieure qui s’est introduite chez nous à l’occasion de la colonisation, soutient Isidore Ndaywel. C’est l’exercice de l’appropriation de ces instruments de modernité politique (l’Etat-nation, la démocratie, la gestion économique moderne, la gestion culturelle moderne…) par les autochtones, qui s’avère une étape incontournable dans l’évolution d’une nation. On n’y arriverait pas si on voulait faire le contraire».
Aux nostalgiques congolais qui regrettent encore «la belle époque coloniale», le Coordonnateur du Comité scientifique du Commissariat général du Cinquantenaire se montre sec : «La colonisation est finie. Organisons le quarantième jour de ce deuil colonial. N’en parlons même plus ! Pourquoi parlons-nous encore tant de la Belgique ? Ce n’est qu’un partenaire parmi tant d’autres. Nous sommes au cinquantenaire. Nous avons invité un certain nombre de chefs d’Etat, on n’en parle pas. On parle seulement du roi qui arrive ou qui n’arrivera pas. Le roi n’est qu’un invité, chef d’Etat parmi tant d’autres ! Je crois que ce sont ces relents de la colonisation qui demeurent dans notre esprit».
«Faut-il fêter le cinquantenaire ? Bien sûr ! Il n’y a pas un niveau de richesses particulier pour fêter ! En cette année, 17 pays africains fêtent leur jubilé d’indépendance»
«Faut-il fêter le cinquantenaire ?», se demandent certains observateurs qui estiment que les festivités du jubilé seraient de trop pour un pays en crise. «Bien sûr que oui, rétorque Isidore Ndaywel ! Il n’y a pas un niveau de richesses particulier pour fêter ! Le jour où un élève réussit son examen d’Etat, si son père lui dit qu’il n’a pas d’argent pour organiser la fête, peut-il être content ? Lorsqu’on a de l’argent, on décide d’aller fêter au Grand Hôtel ! Quand on n’en a pas, on choisit le bar d’à coté ! Et quand on a un peu moins, on achète un casier de boissons sucrées qu’on consomme devant la maison. Parfois même on n’a rien du tout, alors on passe la soirée dans une veillée de prière ! Totaliser 50 ans et ne rien faire, cela n’a aucun sens pour notre culture».
«Sommes-nous si malheureux que cela pour ne rien faire ?», s’interroge l’historien congolais. «En cette année, rappelle-t-il, 17 pays africains fêtent leur jubilé d’indépendance. Pensez à la situation du Togo qui a dû combiner la célébration d’indépendance avec les élections. Pensez à la Côte d’Ivoire qui fête, cette année, ses 50 ans d’indépendance malgré tous ces problèmes ! Pensez à Madagascar qui a eu son indépendance, deux à trois jours avant le 30 juin ! Ils vont célébrer leur indépendance avec nous cette année. Ne sommes-nous pas dans une situation plus enviable que ces pays-là ?»
«Le cinquantenaire doit être une sorte de veillée d’armes pour nous réarmer des énergies nouvelles»
Partant des festivités de l’indépendance, Isidore Ndaywel exhorte ses compatriotes à combattre cette fatalité qui les pousse à affronter l’avenir avec pessimisme. «Le cinquantenaire doit être une sorte de veillée d’armes pour nous réarmer des énergies nouvelles, clame l’historien congolais. Il faut que nous puissions nous organiser pour travailler sérieusement. Il est temps de nous réveiller, de décider de construire notre pays pour faire quelque chose de notre vie. Nous vivons certes dans la crise. Or, c’est pendant la crise qu’il y a émergence de grands hommes. De cette crise, ce qui est certain, c’est qu’il y aura de grands hommes. Et c’est à chacun de décider s’il sera compté parmi eux’’».
Aux jeunes, élites de demain, Isidore Ndaywel demande d’éviter la vie facile et leur recommande une formation assidue : «Nous avons des réclamations des étudiants pour plusieurs raisons. C’est toujours parce qu’ils veulent des recommandations, des arrangements… Jamais parce qu’ils ont pris conscience qu’ils veulent être bien formés. Mais, vient un moment où on ne peut pas tricher avec la vie. Vous dites que vous êtes licencié en économie ? Très bien, il faut maintenant travailler. Vous n’arrivez même pas à écrire correctement. Vous dites que vous êtes maintenant médecin ? Voilà un malade, allez-y. Et vous ne savez même pas le soigner».
«Vous ne pouvez pas vous permettre une vie de médiocrité dès lors que vous voulez être un citoyen du Congo, un citoyen du monde en ce millénaire, s’insurge le professeur Ndaywel. Il faut prendre la porte étroite. Même quand nous sommes étudiants, nous devrons nous décider de construire notre pays, d’aller désormais à contre-courant, de refuser des points qu’on nous donne gratuitement par des recommandations, de petits arrangements, parce que nous voulons être formés correctement».
«L’amélioration de la situation n’est jamais instantanée ! C’est un processus. Et moi, je constate que ce processus a bel et bien démarré».
Optimiste en l’avenir du Congo, Isidore Ndaywel reprend en chœur l’affirmation du ministre Maker Mwangu de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel (EPSP) : «Jamais, je n’ai vu mon pays constituer un si vaste chantier comme aujourd’hui». En séjour à l’étranger depuis une décennie, l’historien congolais voit de bon œil le vent de changement qui pointe à l’horizon : «L’amélioration de la situation n’est jamais instantanée ! C’est un processus. Et moi, je constate que ce processus a bel et bien démarré».
«Moi qui étais longtemps absent du pays, qui ai passé près de dix ans à l’étranger, je ne comprends pas ce qui se passe avec les salles de fête à Kinshasa, s’étonne le professeur Ndaywel. Elles sont toutes occupées. Il y a une telle prospérité au point qu’on est, de fois, obligé de faire le mariage le vendredi ! Il y a même une convivialité incroyable. Invité récemment à un mariage dans la commune de Ngaba, je m’attendais à une cérémonie modeste. Mais, j’ai été étonné de voir qu’il y avait au moins 3 mètres de cadeaux emmenés par l’assistance pour les mariés ! ».
«Même les embouteillages que nous voyons, c’est signe de quelque chose de nouveau, poursuit l’historien congolais. Qu’on voie tout d’un coup tas de véhicules sur nos routes, ce qu’il y a quelque chose qui a démarré».
«Lorsque nous nous mettrons véritablement au travail, nous prendrons des raccourcis pour atteindre le développement».
«C’est à dessein que j’appelle les Congolais au travail, souligne le professeur Ndaywel. Je vous rappelle la devise du pays : «Paix, justice et travail». Or, notre devise lors de l’Etat indépendant du Congo, pendant la période coloniale, c’était : «Travail et progrès». Donc, pendant les 125 ans de l’Etat congolais, il y a un élément qui est resté permanent dans la devise nationale. C’est le mot : travail. C’est grâce à cela que la colonie belge était une colonie modèle qui avait des infrastructures les plus enviées. Nous étions même en avance par rapport à l’Afrique du sud ! Brazzaville ne pouvait même pas se permettre de se comparer avec la ville de Léopoldville, parce qu’il y avait cette notion du travail».
«Eh bien, conclut Isidore Ndaywel, j’ai la conviction qu’un re-enfantement du Congo est possible. Et je suis sûr que, lorsque nous nous mettrons véritablement au travail, nous prendrons des raccourcis pour atteindre le développement. Je pense que, même si nous continuons, rien que comme on est là, dans trois ans, le monde sera surpris. Lorsqu’on vient d’Europe et qu’on revient au Congo où on dit qu’il y a la guerre, la misère, le sida, on est étonné de voir le changement en cours».
Propos recueillis par Yves KALIKAT
Tiré du magazine Optimum n 1
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